Elle s'appelait Saamiya Yusuf Omar et portait le dossard 2895 aux JO de Pékin, en 2008. Elle était l'une des deux seules athlètes à représenter son pays, la Somalie. Elle avait même été désignée comme porte-drapeau lors du défilé de la cérémonie d'ouverture. Les spectateurs l'avaient applaudie, émus, dans sa série du 200 mètres, au cours de laquelle elle était arrivée dernière, loin de toutes les autres, dans un temps anecdotique de 32 secondes et 16 centièmes. Ce qui importait, c'était d'où elle venait. Pour participer aux Jeux olympiques, elle avait dû surmonter une montagne d'obstacles. Le pays était dominé par les fondamentalistes islamiques, qui voyaient d'un mauvais oeil une femme athlète.
Mais Saamiya avait tenu bon. En s'entraînant dur. Elle savait que le sport pouvait l'aider à s'affranchir. Elle venait de Mogadiscio, aînée de six frères et soeurs. Son père avait été tué dans la rue. L'expérience olympique lui avait plu. "Cela a été très beau de défiler avec les meilleurs athlètes du monde", avait-elle répondu aux journalistes qui l'interrogeaient. Cela ressemblait au début d'une histoire de revanche sur la vie. Le sport, quelquefois, le permet.
Mais pas avec elle. "Saamiya a eu droit à une note de Wikipedia qui explique qu'elle est née en 1991, première année de la guerre en Somalie, mais pas qu'elle est morte en Méditerranée", a raconté, dans le blog Pubblicogiornale.it, Igiaba Scego, écrivaine italo-somalienne - depuis, sa page a été remise à jour. La nouvelle de la mort de Saamiya a été révélée par un ancien athlète somalien, Abdi Bile, le seul à avoir remporté une médaille pour son pays, l'or, aux 1 500 mètres des Mondiaux de Rome en 1987. "Savez-vous ce qu'est devenue Saamiya Yusuf Omar ?", s'est-il écrié, la voie rompue par l'émotion, lors d'une rencontre publique avec des membres du comité olympique somalien. Personne n'a su répondre. Abdi a repris : "Elle est morte pour rejoindre l'Occident. Elle était montée à bord d'une "charrette de la mer" qui, de Libye, devait la conduire en Italie. Mais elle n'y est jamais arrivée."
RÊVE INTERROMPU
Igiaba Scego a écrit l'histoire de Saamiya pour rappeler les deux visages de son pays d'origine au moment où il élit son président. D'un côté, Mo Farah, réfugié somalien devenu un héros pour son pays d'accueil, la Grande-Bretagne, après avoir triomphé lors des 5 000 et 10 000 mètres aux récents JO. De l'autre, Saamiya, qui était arrivée jusqu'à Pékin encore adolescente et, à 21 ans, avait peut-être en tête Londres 2012 lorsqu'elle est montée à bord de l'embarcation qui l'a conduite à la mort en avril.
En témoignent les photos parues dans la presse et sur Internet ainsi que les images télévisées où on la voit s'entraîner dans les rues poussiéreuses de Mogadiscio entre un camion de miliciens armés et une horde d'enfants. Peut-être espérait-elle reprendre son rêve interrompu à son retour de Pékin. Comme tant d'autres, elle avait tenté sa chance en quittant son pays. Selon le blog Fortress Europe, près de 18 000 personnes seraient mortes comme elle, en Méditerranée, au cours de ces vingt dernières années.
Article du Monde le 22 août 2012
jeudi 23 août 2012
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